La semaine va être marquée par l'ouverture du débat sur ce qu'il est convenu d'appeler d'un drôle de nom pas très engageant, la loi DADVSI : Droits d'Auteur et Droits Voisins dans la Société de l'Information !
Ce projet de loi, transposition d'une directive Européenne, pose les principes de la protection de la rémunération des auteurs et de l'encadrement du P2P dans un cadre d'ailleurs de moins en moins répressif au fur et à mesure de l'évolution du texte. Je suis persuadé que c'est un débat majeur. Mais que les choses sont posées de telle façon qu'il est bien difficile de s'y retrouver et que les enjeux vont bien au-delà du texte en lui-même. C'est ce qui explique l'intensité et l'incertitude des discussions.
Ce texte d'allure technique est en fait l'occasion d'avoir un débat sur de grands enjeux qui sont nés de l'évolution rapide des nouvelles technologies et de la place prise par Internet dans notre vie quotidienne : relation des citoyens à la culture, idée du partage, gratuité réelle ou supposée, nouvelle perception des distances, bouleversement de l'organisation personnelle par rapport au temps, etc.
Je crois que sans grandiloquence, il n'est pas interdit de penser qu'à travers cette question c'est la prise de conscience de l'avènement d'une nouvelle société qui se déroule sous nos yeux. Nous en avions tous confusément conscience et voilà que nous y sommes brutalement confrontés. Et immédiatement beaucoup de questions se posent :
- Comment concilier progrès technologique, liberté individuelle, protection des droits, propriété ? Une question encore plus complexe si l'on tient compte de l'impact grandissant de la dématérialisation.
- Comment rémunérer justement acteurs, chanteurs, producteurs, etc. ? En se méfiant de l'habileté des grands groupes industriels qui ont su dissimuler la protection de leurs intérêts financiers derrière la promotion de la création culturelle. La protection des artistes doit prédominer sur celle des diffuseurs. En tous cas, si l'on regarde les choses de façon optimiste, jamais les artistes n'ont pu bénéficier d'une telle diffusion ni d'une telle opportunité de promotion de leur oeuvre et jamais les citoyens n'ont eu un tel accès à la culture !
- Comment réconcilier le consommateur et l'auteur ? Ce qui ne nous éloigne pas trop de l'un des grands débats du moment qui est le conflit d'intérêt entre le salarié et le consommateur… que l'on est d'ailleurs parfois tour à tour ! N'est ce pas la base du débat sur la mondialisation ?
- Comment permettre la copie privée sans risquer de devenir sans l'avoir imaginé un contrefacteur ?
- Comment ne pas remettre en cause l'essor des logiciels libres ? Desserrer le carcan de Microsoft ne me paraît pas sans enjeu !
- Comment organiser l'interopérabilité ? etc.
Bien d'autres questions vont émerger, j'en suis sûr, dans les jours à venir.
Ce débat n'est pas sans rappeler celui sur les radios libres. De mon point de vue, rien ne sert d'essayer d'interdire ou d'essayer de créer une "ligne Maginot" car cela a bien peu de chance de réussir dans cette confrontation entre la technique et le droit. Je ne suis pas non plus très enthousiasmé par la "licence globale" car elle me semble assez irréaliste. La solution est à trouver entre liberté et responsabilité en laissant une certaine flexibilité de choix aux auteurs et aux consommateurs.
Mais surtout, la réflexion doit être menée avec l'idée que cette loi est peut-être l'une des premières d'une nouvelle société. Car c'est bien d'un débat de société dont il s'agit : La "société de l'accès" décrite par Jeremy Rifkin, en opposition à la "société de la possession". Pour lui, la société en réseau qui se met progressivement en place ne doit pas être regardée comme la "société de l’Internet", mais comme la "société à laquelle l’Internet sert de miroir". Le réseau n’est pas un phénomène informatique, mais un fait social.
N'est ce pas la vraie dimension du débat ? Les jours à venir vont être passionnants.